A Dakar, nous avons croisé la peur!
Je devais me rendre dimanche matin à quatre heures à l’aéroport afin de rentrer chez moi à Lomé, après la formation Mondoblog de Dakar 2015. Laquelle formation a représenté tellement de choses pour moi personnellement que pour en parler, je n’ai toujours pas les mots, certainement que j’ai besoin d’un peu plus de recul. Néanmoins laissez-moi vous raconter cette aventure marquante que j’ai vécue à Dakar. Peut-être que si les mots me viennent plus facilement pour la décrire, c’est parce que la peur qu’elle a suscité en moi en a été la source d’inspiration.
Je ne voulais pas en parler ; ou bien peut être seulement après avoir laissé s’écouler le délai de prescription, tellement elle me fait rire, chaque fois que j’y pense. Mais bon, à rien il ne sert de tout cacher…
Il devait sonner vingt-deux heures et quelques, le samedi cinq décembre au soir, je ne m’en souviens plus exactement. C’était la veille de mon départ. L‘humeur maussade déjà à l’idée de quitter la belle ville de Dakar, je voulais coûte que coûte copier la majeur partie des photos que nous y avons prises durant notre séjour. Au moins, celles-ci alimenteront mes instants de nostalgie à mon retour à ma réalité habituelle. Ecclésiaste Deudjui était en train de créer un dossier pour les images récupérant, collant les images que les uns et les autres avaient prises justement.
Tiens, Benjamin allons chez Ecclésiaste, copions les photos puis au retour, passons acheter du Dibi.

A l’auberge…
Attendez-moi cinq minutes les gars et on y va ; je repars avec vous pour que benjamin récupère lui aussi toutes les photos sur son disque dur.; dans dix minutes ce sera bon, etc. Etc…Le temps qu’on ne s’en rende compte, Ecclésiaste nous fit perdre une heure et demi, peut-être un peu plus…
Benjamin m’avait proposé de partir acheter le Dibi et de revenir ensuite chercher Ecclésiaste, supposant qu’il aurait fini de copier les photos d’ici là, je fis la moue. Si seulement je l’avais écouté plus tôt ! J’acceptai finalement de suivre son conseil, mais les choses s’étaient déjà mises en branle pour notre malheur, hélas…
Direction, la Dibiterie…

Sur la voie qui menait à la dite dibiterie, la même que nous empruntions chaque matin pour aller prendre le bus pour l’AUF, il se passait une chose intéressante. Juste en face de ce lycée (dont j’ai oublié le nom), une danse autour du feu ; avec tam-tams, et chants. Quel beau spectacle nous sommes nous dits ; benjamin eut le temps de filmer un peu, moi je m’autorisai à esquisser même quelques pas et capturer une ou deux photos.

Bon, ça va, allons acheter notre viande nous fîmes, contents d’avoir été témoin de ce spectacle ; encore une particularité de Dakar, peut-être !
Nous avons commandé notre viande, qui ne s’est pas faite prier pour cuire sur ces brases ardentes.

Crédit:Gilbert LOWOSSOU
Quinze minutes plus tard on était servis.
Nous devions maintenant retourner chercher Ecclésiaste, de l’autre côté. De la dibiterie, cents ou cent-cinquante mètres faits plus tard, nous nous retrouvions à peu près en face du lycée, à l’endroit même où se passait le beau spectacle décrit tout à l’heure. C’était bizarre, le feu était toujours allumé, mais les gens ne dansaient plus autour. La foule s’était éclatée, des petits groupes s’étaient formés par ci, par là. Et puis, un mouvement de panique ; jets de pierre, des gens qui se cachent, mais que se passe-t-il enfin ?!
Nous avancions toujours ; « nous sommes étrangers ici, y a pas de raison que ce qu’ils font là nous atteigne ; on n’est pas concernés » me suis-je dit à tort, un peu pour me rassurer face à la peur qui se faisait grandissante dans mon esprit.
A peine quelques mètres de plus et la raison de la panique générale de tout à l’heure était à présent face à nous.

Crédit : Google
Ce n’était ni plus ni moins, qu’un type avec un accoutrement pareil qui se tenait à une trentaine de mètres de nous !
Seigneur ! Il y a ça ici aussi ? Le Sénégal n’est –il pas un pays musulman ? Comment se fait-il qu’ils aient de telles pratiques animistes ici ?? Un nombre incalculable de question me traversèrent l’esprit en une fraction de seconde. Elles étaient incalculables parce qu’à peine je commençais à me les poser que j’aperçu que le gars déguisé là, (ce n’était surement pas un esprit à l’intérieur) avait une machette dans chacune de ses mains !
A peine eu-je le temps de laisser ma peur prendre possession de mon corps (sans que je n’y puisse rien), que je fus réveillé par un bruit déclencheur ; il venait de frapper ses machettes les unes contre les autres ; panique générale, encore ! Et il arrivait dans notre direction !
Benjamin était là, à côté, un peu derrière. Quand la foule, curieuse mais visiblement habituée à ce spectacle prit ses jambes à son cou, nous l’avions suivie. On se retrouvait maintenant dans une épicerie, entassés, avec des gens que nous ne connaissions point dans ce qui ressemblait à l’arrière-boutique. J’avais tellement peur, que je piétinais les cartons, les sachets plastiques qui contenaient je ne sais quoi.Mon rythme cardiaque avait presque doublé!
Merde ! C’est quoi cette histoire ?! Quelques instants après, le calme semblait revenu ; un pas après l’autre, nous sortîmes nos têtes de l’épicerie, pour prendre le pouls de la rue… Misère ! Le gars revenait encore dans notre direction ! Demi –tour dans l’épicerie ! À cet instant le propriétaire serein, derrière son comptoir nous demanda énergiquement, le visage ferme, de sortir de sa boutique « s’il vient ici et qu’il vous trouve, il va casser mes choses ici ! » nous lança-t-il !
Oh ?? Comment pouvait-on être aussi méchant ?il veut que nous on fasse comment ? La peur, de la peur et encore de la peur, c’est tout ce qui nous animait. Dieu merci, il eût encore une petite accalmie dans la rue. Benjamin et moi avons donc décidé de sortir ; il fallait qu’on rentre de toute façon à notre auberge ; Il n’était plus question d’aller chercher Ecclésiaste pour copier quelles photos même?! le Dibi ne devait pas refroidir non plus hein.
Nos pas étaient effrayés, tâtonnants ; nous les comptions presque ; nos yeux étaient fugaces, on regardait de gauche à droite, on se surveillait les épaules, et on avançait, toujours par tâtons. Et puis merde ! Misère ! Par tous les dieux, nous devions être malheureux ! Il y en avait un deuxième, sortit de nulle part, d’une ruelle à gauche un peu devant ; on était seuls, face à lui, la foule derrière nous. A gauche, il n’y avait pas d’issue, à droite non plus, nous étions face à face. Derrière, nous avions semé le premier homme masqué, devant le deuxième venait de faire claquer ses deux machettes !
A cet instant précis, mon instinct de survie prit le dessus ! Comment allais-je retourner chez moi et raconter que j’avais été victime d’un homme masqué avec des machettes, Moi un togolais ? Avec des origines un peu béninoises ; ce Bénin où le vaudou est roi ; moi dont ces pratiques devaient être plus parlantes qu’à ces sénégalais, certainement novices en la matière !? Quelle honte ça aurait fait !
Benjamin était toujours là, à côté, un peu derrière ! Quand le gars avec les machettes fit son premier pas, je fis un créneau sur moi-même, marche arrière, un grand tour sur ma droite et paff ! Il arrivait vraiment, cette fois il nous pourchassait pour de vrai. Je vis la porte ouverte d’un immeuble d’habitations juste à côté de nous. Il était question de survie. Je courrais sans regarder derrière, ni me demander ou était Benjamin ? Il me suivrait certainement. ! La course continuait. La porte donnait sur des escaliers, que je montai à pas de géant ; A chaque enjambée, je laissais au moins quatre marches derrière moi, benjamin fit pareil ; et puis on s’arrêta, un peu essoufflés…
Nous ne savions pas où nous allions, on venait de rentrer dans une maison inconnue, on était au deuxième étage, mais toujours dans les escaliers d’un immeuble dont on ne connaissait ni les occupants, ni les attitudes… On s’était arrêtés pour voir, entendre un peu ce qui se passait dehors.
Encore « kplaakkkk » cette fois le bruit des machettes venait juste de résonner devant la porte par laquelle nous sommes rentrés. Pouvait-il monter lui aussi ? En avait-il le droit ?? Peu importe, il fallait survivre d’abord ! Nous reprîmes la course dans les escaliers, nous étions maintenant sur le toit de cet immeuble de quatre ou cinq étages qu’on venait de monter sans même s’en rendre compte ; A notre arrivée, tout essoufflés et apeurés, il y avait un monsieur qui regardait depuis là-haut ; ne le connaissant pas, nous lui avons adressé un « bonsoir » auquel il a répondu sans commentaires ; il devait avoir un peu peur de nous, et nous encore plus de lui. Il faisait nuit, on voyait à peine son visage. Quelques secondes après, il se retourna et disparut dans la noirceur d’un couloir ;
Je dis à ce moment-là à Benjamin, « mon frère, ici nous sommes en territoire inconnu, faut pas qu’il entre dans sa chambre et ressorte avec un couteau sur nous, allons-nous –en » .Depuis le toit, on voyait maintenant toute la rue. Elle était beaucoup plus calme que tout à l’heure.
Nous sommes redescendus…
Benjamin était toujours derrière, le dibi fermement tenu dans sa main ! On regardait à gauche et à droite à chaque mètre pour être sur de ne pas être suivis ou surpris encore par ces hommes masqués. Toute la distance parcourue entre l’immeuble et notre auberge, nous étions paranos, sur nos gardes ; chaque mouvement, chaque silhouette inconnue nous semblait suspecte. Une des peurs que vous ne ressentez que quand votre vie est vraiment en danger.
Ce dont ces hommes masqués étaient capables, nous ne le savions pas. Les lames de leurs machettes étaient-elles tranchantes ? Pouvaient-ils nous agresser ? Nous étions des étrangers, et n’avions normalement rien à faire à pareille heure, dans la rue à Dakar, au quartier patte d‘oie ! C’était peut-être le Dibi de trop dont nous avons eu envie !
Une fois rentrés à notre auberge, nous nous sommes allongés sur les chaises longues de la terrasse, fatigués, les pieds sales, témoins d’une course exceptionnelle ; Ce Dibi là, nous l’avons déchiré sur nos dents devenues très incisives parce qu’ayant survécus à une expérience de mort imminente hein…
Ecclésiaste était finalement revenu à notre auberge avec James dont nous avons sollicité de l’accompagner. Nous ne leur avons ni raconté ce qui nous était arrivé plus tôt ni demandé s’ils ne leur était rien arrivé à eux. Ecclésiaste, se permit de venir sans son ordinateur pour qu’on copie les fameuses photos à cause desquelles nous avons failli…hum !
Nous avons bravé notre peur ; nous sommes ressortis pour aller chez lui, copier les photos, créer le buzz autour de la valise de Guy Muyembe, nous faire sermonner par Ziad, réveillé par les rires aux éclats de Jeff Ikapi, avant de nous faire des adieux chaleureux.
Une histoire que nul n’était censé connaitre…
Je ne sais pas avec quelle clé de lecture Benjamin Yobouet décryptera cet épisode de notre séjour à Dakar mais je suis certain qu’il ne me contredira pas quand je dis qu’à ce sprint pour la vie, il était derrière, et que même si Usain Bolt était concurrent, face à moi, ses jambes ne lui auraient servit à rien !
Jusqu’à maintenant, je me demande encore ce que c’était ? Était-ce du vaudou ou quoi? J’en ris, j’en ai un peu froid dans le dos, mais je préfère en conclure que c’était une histoire de plus pour renforcer des amitiés naissantes qui je l’espère, ne seront pas évanescente, ni face au poids du temps, ni devant fossé de la distance.

Crédit: Je ne sais plus!
Vous savez que quand je parle de moi, c’est de nous qu’il s’agit. !
Commentaires